FESTIVAL

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Formations « École du spectateur » à Avignon . 1ère session : du mercredi 15 au samedi 18 juillet 2015 . 2ème session : du lundi 20 au vendredi 24 juillet 2015

Ces formations sont organisées par l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale (ANRAT) http://www.anrat.net/

Articulées autour de la programmation du Festival d’Avignon, ces deux formations aborderont l’analyse et la lecture de spectacles, la place de la représentation théâtrale dan notre quotidien personnel et professionnel, les différentes formes d’interventions partenariales ainsi qu’une approche par la pratique.

Elles s’articuleront principalement autour de quatre axes : 1/ Travail en amont et description chorale des représentations ; 2/ Ateliers de pratique, jeux théâtraux, lecture à haute voix, ateliers d’écriture et d’arts visuels ; 3/ Visite d’exposition, pour une perspective arts plastiques – scénographie ; 4/ Rencontres avec des artistes.

Les stages ont lieu au Conservatoire d’Art dramatique d’Avignon et concernant les artistes, enseignants, médiateurs culturels, étudiants, représentants de structures culturelles.

Les formateurs invités sont Olivia Burton (dramaturge), Yannic Mancel (professeur d’histoire du théâtre et de dramaturgie), Joël Paubel (artiste et enseignant en art et culture), Romain Labrousse (enseignant de Lettres option théâtre), Sandrine Froissard (enseignante de Lettres option théâtre), Katell Tison-Deimat (formatrice en théâtre), Anne-Frédérique Bourget (metteure en scène)

spectacles vus et travaillés sur les deux sessions : Et Les Poissons partirent combattre les hommes d’Angelica Liddell par la compagnie Maskantête, au Théâtre de l’Alizée ; Fugue, de Samuel Achache, au Cloître des Célestins ;  Richard III, de William Shakespeare, mise en scène Thomas Ostermeier, à l’Opéra Théâtre ; Dinano, de Claudio Tolcachir, au gymnase du lycée Mistral ; Retour à Berratham, de Laurent Mauvignier, chorégraphie Angelin Preljocaj, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes ; Cuando Vuelva a Casa – Quand je rentrerai je serai un autre, de Mariano Pensotti, à La FabricA ; La Trilogie du Revoir, de Botho Strauss, mise en scène Benjamin Porée, au gymnase du lycée Aubanel ; Meursaults, d’après Kamel Daoud, mise en scène Philippe Berling, au Théâtre Benoit-XII

Stage « École du spectateur / analyse de la représentation théâtrale » défini en un lieu, une réplique et une personne :

● Un lieu : le cloître des Célestins. C’est cet édifice hérité du XVIème siècle qui sert de décor à Fugue de Samuel Achache. Deux platanes imposants flottent au milieu d’une atmosphère arctique avant de disparaître dans le blizzard, avalés ainsi que les spectateurs puisque dans cette base scientifique il n’y a « rien. » Les après-ski crissent sous cette étendue blanche d’où émergera contre toute attente du mobilier de plage comme autant de strates, autant de collages, bris collage inhérent au genre de la fugue. Et puis, la cabane bricolée elle aussi, lieu de refuge, îlot de survie, lieu d’abandon à l’autre mais aussi lieu d’émulation artistique où la voix de castra le dispute à la batterie, où le battement de la mesure sur la paroi de la cabane le dispute à la guitare. Mélange des lieux, mélange des genres, mélanges des saisons. Décembre en juillet en Avignon.

● Une réplique : « Désespère et meurs. » C’est la réplique proférée telle une malédiction par les victimes malencontreuses présentes sur le chemin vers le trône du duc de Gloucester. La langue de Shakespeare le cédant à l’allemand de Thomas Ostermeier, l’allemand le cédant enfin au français d’un surtitrage des plus laconiques. C’est aussi en français que cette réplique est travaillée lors d’un atelier de pratique artistique visant à la préparation de la représentation. Prenant le parti des victimes, l’incarnation du mal absolu est d’abord mise à mal par la récitation de haïkus (portraits en trois vers de Richard III) joués avec tour à tour une contrainte physique, orale, comique. Réduit à l’état de bouffon par ses propres victimes, c’est alors que la mise en scène de la scène finale résonne comme une revanche : Richard III chatouillé dans son sommeil, bousculé par les revenants, honni, maudit, à maintes reprises condamné au désespoir et à la mort.

● Une personne : Anne-Frédérique Bourget, metteure en scène de Et les poissons partirent combattre les hommes. C’est une metteure en scène très humble qui a animé une séance de deux heures de pratique artistique. L’enjeu est de taille : le groupe se compose de spectateurs assidus, de directeurs de troupe, de personnes ayant une longue pratique de la scène. Finalement, les différences s’estompent et c’est en groupe, en ronde, pieds nus  que nous nous appliquons coûte que coûte à passer de main en main un objet tantôt de plus en plus lourd, tantôt de plus en plus précieux. Les exercices s’enchaînent les uns après les autres : nous voilà dans la peau d’un conférencier dont le texte est emprunté à la comptine « Frère Jacques », d’un présentateur T.V. qui débite « Une poule sur un mur. » Des exercices de mise en confiance apprennent à écouter les autres, leurs déplacements, leur disponibilité, à ressentir les partie de leur corps. Compléter des tableaux sans concertation invite à faire appel aux autres pour construite du sens. L’atelier s’achève par un moment d’échange et de partage autour de notre pratique théâtrale et de possibles réinvestissements avec des élèves. Une belle parenthèse apaisante et enrichissante avant de replonger dans la jungle avignonnaise.

Blandine Questaigne / Lettres ESPE de Versailles

Retour sur le stage de l’ANRAT :

Le stage de l’ANRAT, organisé dans le cadre du festival d’Avignon, est une belle occasion de redécouvrir le monde théâtral et d’aiguiser son regard de spectateur. Pendant quatre jours, nous avons déambulé au travers des rues de l’ancienne cité pour assister à des spectacles très différents les uns des autres : ainsi chacun pouvait-il étendre ses horizons théâtraux.

Et, lors de l’analyse chorale qui succédait à chaque spectacle, l’ensemble du groupe ébauchait un retour sur la pièce représentée, sous l’arbitrage bienveillant et instruit des formateurs. Nous nous retrouvions ainsi de façon récurrente dans les accueillants locaux du Conservatoire d’Avignon.

Or, pendant ce stage, nous avons non seulement bénéficié des connaissances et des compétences de formateurs de l’ANRAT, mais aussi de professionnels qui participaient à la création des spectacles que nous avons vus : Anne-Frédéric Bourget, metteur en scène, est notamment venue échanger avec nous sur la réalisation de sa pièce, de même que le traducteur de Thomas Ostermeier, qui est venu nous parler avec passion de son travail autour du sous-titrage.

Par ailleurs, afin de profiter au mieux des richesses culturelles de la « cité des papes », une visite de la Collection Lambert a été organisée par le duo complice formé par Joël et Romain. Nous avons, d’une part, pu découvrir une exposition autour de la vie et de l’œuvre de Patrice Chéreau et, d’autre part, nous avons pu admirer l’importante collection d’œuvres d’art que possède la Fondation Lambert.

En outre, plusieurs ateliers ont ponctué ce stage : nous avons pu nous essayer à deux reprises à la pratique théâtrale, selon des méthodes très différentes, et nous avons participé à un workshop original autour de l’affiche, très significative et très présente dans le cadre du festival d’Avignon…

Véronique Seaux – Lettres / ÉSPÉ Versailles

« Arrivée à Avignon. L’ambiance elle-même interpelle le (futur) spectateur dès sa sortie du train. Une énergie débordante s’est emparée des ruelles : du bruit, beaucoup de touristes venus comme nous pour le festival, des flyers distribués tous les deux mètres, des artistes de rue nous hélant de tous côtés… Et, partout sur les murs de pierre, des affiches colorées, bleu, rose, vert, noir, parme ou jaune canari –nous devrons apprendre plus tard dans la semaine les choix stratégiques que demande la réalisation de ces attrape-l ’œil, même si nous n’y prenons pas garde sur le moment. Ces affiches se mêlent au lierre, aux panneaux de signalisation, à la moindre barrière ou parcelle disponible. Elles se battent entre elles pour un morceau de mur, tandis que le passant se fraie un chemin parmi les tracts qui jonchent le sol. Des spectacles ont lieu à toute heure, et le moindre bâtiment semble un théâtre potentiel. Cet ensemble donne à la cité des Papes une atmosphère très particulière, exaltante, qu’aucune de nous deux ne connaissait, car elle n’existe probablement que quelques jours par an : l’atmosphère du festival d’Avignon. Nous n’y échapperons que le soir, « chez Bernadette », où nous logeons sur les hauteurs d’Avignon.

Nous découvrons le Conservatoire, lieu où nous allons passer les cinq jours du stage, entre analyses chorales, workshops et préparations des spectacles à venir. Une quarantaine d’autres stagiaires, en grande majorité des professeures de français en collège et lycée. Nous sommes les plus jeunes et, sur le début, nous sentons un peu intruses parmi ce public bien plus averti. Ce sentiment s’évanouit au fil de la semaine pour laisser place à une curiosité intellectuelle qui ira crescendo tout au long des séances. Chacun parle, interroge, suggère, pointe un élément de décor, un pas de danse qui l’aura touché, propose une interprétation. Les parallèles littéraires ou artistiques se forment, des débats se lancent. Que signifiait ce tapis de caisse enregistreuse sur lequel défilaient des objets divers et variés dans la pièce de Pensotti ? (Cuando vuelva a casa). S’est-on tous senti agressé de la même manière par la mise en scène de Et les poissons partirent combattre les hommes (Angelika Liddell), ou était-ce au contraire « soft » comparé à ce que l’auteur a l’habitude de faire ? Le jeu de l’acteur principal dans Meursaults n’est-il pas discutable, tout comme le décor, peut-être un peu trop simple, trop « cliché » pour représenter le Maghreb dans cette suite fictive de l’Etranger de Camus imaginée par Kamel Daoud ?

Les remarques fusent lors des « analyses chorales ». Que dire d’un décor scénique avec une grande étoile en néon partiellement coupée, des carcasses de voitures, un échafaudage et une lumière sombre ? L’idée est d’aller au delà des « j’ai bien aimé »/ « j’ai détesté », on cherche à comprendre : pourquoi ces choix ? Pourquoi Angelin Preljocaj a choisi un décor comme celui-ci pour Retour à Berratham ? « L’étoile est incomplète, elle émerge du sol. » « Oui mais encore,  précisez, comment est-elle ? ». Nos formateurs nous poussent à trouver les mots justes. Inclinée, elle est inclinée cette étoile. Elle n’est pas allumée en permanence non plus, elle clignote. Qu’est-ce que cette étoile ? Le fait qu’elle semble prête à se décrocher, cela représente t-il l’incertitude de la vie politique de ce lieu où la guerre vient de se terminer? Est-ce l’étoile de Bethléem, le guide du personnage principal qui revient chez lui ? Ou bien, serait-ce Katja, la femme qu’il est venu chercher ? Si à présent l’on observe le reste du décor, ces cages métalliques, ces échafaudages, ces grilles, ne pensez-vous pas aux villes de l’Europe de l’Est ? A des zones urbaines désertées (un clin d’œil à West Side Story ?), ou encore à des frontières, une prison ? Ajoutez à cela ces voitures noires, mates, calcinées, ne dirait-on pas que l’on se trouve dans un terrain vague ? Toutes ces interrogations sont un aperçu de nos analyses chorales quotidiennes.

Les critiques aussi émergent parfois, tempérant l’enthousiasme général ou osant dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. Ainsi de la pièce de Botho Strauss, La Trilogie du Revoir : « Vous croyez que les acteurs étaient mauvais, ou que le fait de jouer volontairement mal faisait partie de la mise en scène ? ». La sincérité étant de mise, certaines vont même jusqu’à ajouter : « Je vous l’avoue, je suis partie avant la fin ! », « Pour ma part, je me suis même endormi ! ».

Au fil de la semaine, un rythme s’installe. Analyse de la pièce vue la veille le matin ; « conditionnement » à la pièce à voir en soirée l’après-midi. Nous, nous prenons des notes, écoutant attentivement les interventions, orthographiant probablement mal au passage un ou deux noms d’auteurs allemands du début du XVIIIème siècle, voyant fuser les références au cinéma, à la peinture, à la littérature, à la musique. L’intérêt de cette semaine de stage réside sûrement, à notre sens, dans cet état d’esprit : en alerte, en permanence, craignant de perdre une miette de ce qui se dit, prêtes, une fois rentrées chez nous, à aller voir telle pièce qui passe à Paris, ou à se renseigner sur tel auteur jusqu’alors mal connu, si ce n’est méconnu. Nous (re)découvrons le théâtre apprenant à « voir » un spectacle, à être spectateur, car il ne s’agit pas simplement de rester assis sur un fauteuil.

Cette « routine » est rompue à plusieurs reprises. Elle l’est en réalité tous les jours, puisque les spectacles auxquels nous assistons nous conduisent dans des lieux tous plus éclectiques les uns que les autres : d’un gymnase désaffecté à la cour d’un lycée, de l’opéra-théâtre à la cour d’honneur du Palais des Papes, ces lieux mythiques participent de l’ambiance du festival. Cette variété des espaces illustre d’ailleurs bien la diversité des spectacles que nous avons pu rencontrer, tout au long de la semaine de stage ; diversité ne manquant pas de nous surprendre à chaque fois, de par le décalage, chaque soir, entre le spectacle et le lieu qui l’accueille.  La « routine » des analyses chorales est également interrompue par des rencontres avec les metteurs en scène de deux pièces, celle du premier et celle du dernier jour (i.e., Et les poissons partirent combattre les hommes et Meursaults). Nous avons même le privilège de discuter également avec l’auteur dans le cas de cette dernière. La possibilité de questionner, féliciter chaudement, voire (plus rarement) émettre des réserves, s’offre à nous tout comme à la quarantaine d’autres stagiaires, tout cela nous permettant de passer de l’autre côté du rideau de scène et d’entrer dans la tête du donneur, après nous être essayées à celle du receveur. Autre événement marquant de la semaine : l’organisation, le mercredi, de deux workshops. Le premier, sorte d’atelier pratique pour travailler, préparer le texte que nous entendrions le soir-même. Lectures à voix haute, essais d’intonation : que donnerait cela si nous étions nous, les actrices ? Et que penser de la traduction du texte allemand de Botho Strauss ? Nous comparons la musicalité de la version originale qui nous est lue à celle que nous entendrons le soir, nous soupesons le choix des mots… Notre lecture sera t-elle conforme aux choix du metteur en scène ?  Le deuxième workshop porte plus sur l’aspect hors spectacle : comment faire une affiche ? Comment choisir la couleur qui rende le propos ? Pourquoi le bleu imprime-t-il en réalité de l’orange dans notre esprit ? Quel titre « sonne bien » et pourquoi ? Nous explicitons, argumentons sur le pourquoi et le comment de nos arrêts incongrus au détour d’une rue d’Avignon devant un flyer plus marquant qu’un autre. Dernière activité s’éloignant un peu des représentations quotidiennes : la visite, le dernier jour, de la Collection Lambert, musée d’art contemporain regroupant les œuvres d’art léguées à la ville d’Avignon. Au moment de notre visite, une exposition temporaire est dédiée à Patrice Chéreau, metteur en scène, homme de cinéma et d’opéra, nous permettant ainsi de nous intéresser à la mise en scène sous un angle encore différent de ceux que nous avons pu voir durant la semaine. Dans les salles voisines, Goya ou Gros côtoient Twombly, Basquiat ou Abdessemed, panel impressionnant permettant de clôturer par la peinture et la sculpture contemporaine notre stage sur le théâtre contemporain. Finalement, l’exploration de l’œuvre du metteur en scène à travers ses esquisses et ses notes de travail, aux côtés de son « musée imaginaire » (i.e Twombly, Goldin, Kiefler et bien d’autres) nous ont permis de nous projeter dans les préoccupations, motivations et l’univers de ces artistes, rendant par-là l’exposition encore plus riche. 

La semaine s’achève ainsi sur le sentiment d’être privilégiées. Privilégiées à la fois d’avoir pu voir plusieurs spectacles faisant partie du « in » (quand beaucoup de touristes, par manque de places, n’ont accès qu’au « off »), mais aussi et surtout d’avoir pu ainsi, de manière intensive, comparer, commenter, discuter de nos ressentis et de nos analyses de façon cadrée, au sein d’un public averti. A cela s’ajoute également la chance d’avoir pu rencontrer, dans certains cas, ceux ayant mis en œuvre le spectacle qui nous était offert. Comme pour résumer l’état d’esprit de cette semaine, le dernier jour s’achève sur une bonne surprise : des places en fin d’après-midi pour la générale de L’Homériade, récitée par Robin Renucci, à l’opéra d’Avignon. Dernier spectacle imprévu au programme, juste avant d’aller reprendre notre train, pour clore une semaine qui fut des plus riches. »

Siloé Hermile et Marie-Laure Pairon / SciencesPo Saint-Germain-en-Laye

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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