SERRE

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peinture à tableau noir sur serre horticole 193 x 193 x 185 cm

Habiter le tableau

Joël Paubel a transformé une serre horticole standard de deux mètres de hauteur et de quatre mètres carrés au sol  en serre à tableaux noirs. Toutes les vitres ont été badigeonnées de peinture à tableau rendant possible l’écriture sur les murs.

Si l’on entre habituellement dans une serre pour y préparer des semis et entretenir des plantes, il est possible ici d’y faire germer des idées, d’y bouturer du texte et greffer des images. On  peut donc s’y installer pour  écrire et dessiner à sa guise, du sol au plafond.

Les corps des visiteurs (un ou deux peuvent entrer à la fois) peut alors adopter toutes les postures pour s’atteler à l’écriture et au dessin.  Ici l’on peut se coucher, se traîner au sol, se mettre à genoux, s’asseoir sur les talons, se hisser sur la pointe des pieds, commencer du faîtage pour glisser vers le sol.  Être immergé dans le noir du tableau  ouvre à des positions physiques les plus improbables à l’opposé de la tenue de l’élève qui, face au tableau, demeure bien droit.  C’est qu’ici nous sommes plus à l’intérieur d’un lieu de pensées, de rêveries et de vagabondages que devant un  support de leçons à recopier.

Lorsqu’on écrit à la craie sur un tableau noir, la surface  plane réceptrice reste indéfiniment capable de réception et l’on peut effacer ce qui n’a plus d’intérêt sans jeter la surface elle-même. Et contrairement au support-papier, ce qui est effacé est à jamais perdu, aucune véritable mémoire de l’inscription ne subsiste.  Pour Freud, c’est « notre appareil psychique [qui] accomplit justement ce que l’ardoise ne peut faire : il a une capacité indéfinie de recevoir des perceptions toujours nouvelles et de fournir des traces mnésiques durables ».

Habiter cette serre à idées, c’est à la fois être baigné de peinture noire, habiter le monochrome qui nous entoure mais c’est aussi savoir enregistrer les traces qui subsistent d’une intervention à l’autre, les effacements, les frottements du chiffon,  les errements de celui qui est passé avant. Chaque nouvelle intervention s’affirme par le trait et prend figure de repentir par rapport à celui qui le précède. Une façon de laisser les choses en l’état et de renvoyer ainsi aux brouillons artistiques, à l’importance du repentir dans l’art et de ne rien dissimuler des  errements artistiques.

De l’extérieur la serre est noire et brillante, ici ou là, transparaissent  quelques coups de craie trop pointus qui étincellent. En effet, par l’inscription, le blanc de la craie a parfois ôté du noir, éclairant alors faiblement l’intérieur, véritable refuge de pensées brouillées des passages successifs.

 

Sandrine Morsillo

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