VENTS
Vents. C’est le titre de ce poème peut-être le plus puissant de Saint-John Perse, écrit après le cataclysme de 39-45, encore depuis l’exil, dans cette idée de forces neuves qui lèvent et lavent, balaient, déblaient, nous remettent face à de nouvelles augures. Réapprendre le mot de vivants.
C’étaient de très grands vents sur toutes gaces de ce monde, De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte, Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Et on trouve toujours quelques esprits moisis pour gloser sur Saint-John Perse alambiqué ou arrogant ou enfermé dans son lyrisme.
C’étaient de très grandes forces en croissance sur toutes pistes de ce monde, et qui prenaient source plus haute qu’en nos chants, en lieu d’insulte et de discorde ; Qui se donnaient licence par le monde – ô monde entier des choses – et qui vivaient aux crêtes du futur comme aux versants de glaise du potier… Au chant des hautes narrations du large, elles promenaient leur goût d’enchères, de faillites ; elles disposaient, sur toutes grèves, des grands désastres intellectuels…
Avec les Feuillets d’Hypnos de René Char, ou le Je marche dans le tunnel d’Henri Michaux, nous apprenons à tenir, même indompté et obscur, le cataclysme qu’eux traversèrent, et qui reste partout notre socle de mémoire.
Des hommes dans le temps ont eu cette façon de tenir face au vent
C’est ce vers de Saint-John Perse, ouverture du Chant III de Vents, qui m’est venu lorsque Joël Paubel m’a transmis ses photographies des manifestations. Dès la première semaine, Joël s’était concentré sur ces ouvertures, qu’on fait à la main dans les banderoles de tissu.
Faire passer de l’air, bizarre, convoque le mot résistance. Ce sont des fenêtres sur ciel, mais immédiatement des fenêtres sur visages.
Du troisième mardi de mobilisation, Joël Paubel est revenu avec cette série. Plus rien à démontrer, qu’accepter le jeu des couleurs monochromes, de la dispersion des signes, et cette présence d’un vent devenu notre revendication même : ce sont eux, les commis, les valets de pouvoir, les vizirs, qui sentent l’étriqué, le renfermé, et dont l’objet du mépris est justement ce visage qui ici collectivement s’offre, et ne dit rien que cette exigence de vivants.
Là dit aussi par ces coulées de vent avec couleurs hissées, l’être rassemblé, l’idée si vieille – malgré tout ou encore, et si complexe – de peuple ?
Ci-joint, avec son autorisation, onze photographies de Joël Paubel. © François Bon _ 8 avril 2006 le tiers livre : l’invitation : Joel Paubel | manifs
…
Related PostsProjets liés |